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Sur les rives de la mer des Tchouktches, dans l’océan Arctique, un peuple vit à l’écart du reste du monde. En décrivant un quotidien marqué par la chasse au morse et à la baleine, ainsi que par la protection des villages contre les ours venus de la toundra, le film propose une méditation sur la mort.
Le tambour d’un chamane tord d’emblée les images apparemment « directes » de Piblokto : si l’anthropologue Anastasia Shubina et son acolyte Timofey Glinin filment une communauté vivant aux confins arctiques de la Sibérie, leur démarche ne relève pas du simple compte-rendu, à visée scientifique ou pittoresque, mais d’un cinéma puisant sa poésie dans la réalité d’un peuple pour lequel la chasse aux mammifères marins reste un moyen de subsistance. Une poésie qui mord comme le froid et rugit comme la mer, d’où les hommes tirent une baleine ou un morse qui seront découpés en tronçons. Pour rendre compte de cette existence, les cinéastes abolissent toute vocation didactique et continuité narrative, au profit d’une logique de la sensation. Les images, nettes et contrastées, témoignent d’une immersion dans des mouvements collectifs où se croisent humains et animaux. Ne les enrobant d’aucune mise en contexte, les cinéastes préfèrent rendre aux actions leur dimension rituelle en accueillant la répétition des motifs. La parole fait surgir des récits qui prennent la dimension de mythes (l’homme qui fit don de deux de ses doigts à la mer). Terme inventé par les Occidentaux, le « piblokto » désigne ce qui leur apparaît comme une maladie mentale, mais qui pourrait aussi manifester la présence des esprits. En le prenant pour titre, les cinéastes revendiquent l’ambiguïté nécessaire de leur position face à ce territoire, et de notre regard sur ces images : nous ne pourrons manquer d’y projeter notre vision du monde. Comme cette pratique chamanique qui invite à visualiser son propre squelette pour se libérer de la peur à tout jamais, le film s’offre comme un rituel inter-culturel organisant la rencontre de différents rapports à la nature et à la mort.
Olivia Cooper-Hadjian
Lire aussi l’entretien avec Anastasia Shubina et Timofey Glinin
Publié le 10/03/2023
- CC BY NC ND 4.0